Chapitre LII

Comment certaine espece de Pantagruelion peut estre par feu conſommée.

Ce que ie vous ay dict, eſt grand & admirable. Mais ſi vouliez vous hazarder de croire quelque aultre diuinité de ce ſacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non. ce m’eſt tout vn. me ſuſſist vous auoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle eſt d’accés aſſez ſcabreux & difficile, ie vous demande. Si i’auoys en ceſte bouteille mis deux cotyles de vin, & vne d’eau enſemble bien fort meſlez, comment les demeſleriez vous? comment les ſepareriez vous? de maniere que vous me rẽdriez l’eau à part ſans le vin, le vin ſans l’eau, en meſure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la prouiſion de vos maiſons certain nombre de tõneaulx, pippes, & buſſars de vin de Graue, d’Orleans, de Beaulne, de Myreuaulx, les auoient buffetez & beuz a demy, le reſte empliſſans d’eau, comme font les Limoſins a belz eſclotz, charroyans les vins d’Argenton, & Sangaultier: commẽt en honſteriez vous l’eau entierement? comment les purifieriez vous? I’entends bien, vous me parlez d’un entonnoir de Lierre. Cela eſt eſcript. Il eſt vray & aueré par mille experiences. Vous le ſçauiez deſia. Mais ceulx qui ne l’ont ſceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient poſsible. Passons oultre.

Si nous eſtions du temps de Sylla, Marius, Ceſar & aultres Romains empereurs ou du temps de nos antiques Druydes, qui faiſoient bruſler les corps mors de leurs parens & ſeigneurs, & vouluſsiez les cendres de vos femmes, ou peres boyre en infuſion de quelque bon vin blanc, comme feist Artemiſia les cẽdres de Mauſolus ſon mary, ou aultrement les reſerver entieres en quelque vrne, & reliquaire: cõment ſaulueriez vous icelles cẽdres a part, & ſeparées des cẽdres du buſt & feu funeral? Reſpondez. Par ma figue vous ſeriez bien empeſchez. Ie vous en deſpeſche. Et vous diz, que prenent de ce celeſte Pantagruelion autãt qu’en fauldroit pour couurir le corps du defunct, & ledict corps ayant bien a poinct enclous dedans, lié & couſu de meſmes matiere, iectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez: le feu a trauers le Pantagruelion bruſlera & redigera en cendres le corps & les oz. Le Pantagruelion non ſeulement ne ſera cõſumé ne ards, & ne deperdra vn ſeul atome des cendres dedãs encloſes, ne recepura vn ſeul atome des cendres buſtuaires, mais ſera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc, & plus net que ne l’y auiez iecté. Pourtãt eſt il appelé Asbeſton. Vous en trouuerez foiſon en Carpaſie, & ſoubs le climat Dia Cyenes, a bon marché. O choſe grande!! choſe admirable? Le feu qui tout deuore, tout deguaſte, & cõsume: nettoye, purge, & blanchiſt ce ſeul Pantagruelion Carpaſien Asbeſtin. Si de ce vous defiez, & en demandez aſſertion & ſigne vſual comme Iuifz & incredules: prenez vn œuf fraiz & le liez circulairement auecques ce diuin Pantagruelion. Ainſi lié mettez le dedans le braſier tant grand & ardent que vouldrez. En fin vous tirerez l’œuf cuyt, dur, & bruſlé, ſans alteration, immutation, ne eſchauffement du ſacre Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille eſcuz Bourdeloys, amoderez a la douzieme partie d’une Pithe: vous en aurez faict l’experience. Ne me parragonnez poinct icy la Salamandre. c’eſt abus. Ie confeſſe bien que petit feu de paille la vegète & reſiouiſt. Mais ie vous aſceure que en grande fournaiſe elle eſt comme tout aultre animant, ſuffoquée, & conſumée. Nous en auons veu l’experience. Galen l’auoit long temps a confermé & demonſtré lib. 3. de temperamentis. & le maintient Dioſcorides lib. 2. Icy ne me alleguez l’alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire bruſler, pour ce que Archelaus gouuerneur de la ville pour le roy Mithridates, l’auoit toute enduicte d’alum. Ne me cõparez icy celle arbre que Alexander Cornelius nommoit Eonem. & la diſoit eſtre ſemblable au Cheſne qui porte le Guy: & ne pouoir eſtre ne par eau, ne par feu conſommée ou endommagée, non plus que le Guy de cheſne, & d’icelle auoir eſté faicte & baſtie la tant celebre nauire Argos. Cherchez qui le croye. Ie m’en excuſe. Ne me parrangonnez auſsi, quoy que mirificque ſoit celle eſpece d’arbre que voyez par les montaignes de Briançon, & Ambrun, laquelle de ſa racine nous produit le bon Agaric, de ſon corps nous rend la reſine tant excellente que Galen l’auſe æquiparer a la Terebinthine: ſus ſes feueilles delicates nous retient le fin miel du ciel, c’eſt la Manne: & quoy que gommeuſe & vnctueuſe ſoit, eſt inconſumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin: les Alpinois la nomment Melze: les Antenorides & Venetians, Larege. Dont feut dict Larignum le chaſteau en Piedmont: lequel trompa Iule Cæſar venent es Gaules. Iule Cæſar auoit faict commendement a tous les manens & habitans des Alpes & Piedmont, qu’ilz euſſent a porter viures & munitions es eſtappes dreſſées ſus la voie militaire, pour ſon ouſt paſſant oultre. Au quel tous feurent obeiſſans, exceptez ceulx qui eſtoient dedans Larigno, les quelz ſoy confians en la force naturelle du lieu, refuſèrent a la contribution. Pour les chaſtier de ce refus, l’Empereur feiſt droict au lieu acheminer ſon armée. Dauant la porte du chaſteau eſtoit vne tour baſtie de gros cheurons de Larix laſſez l’un ſus l’aultre alternatiuement comme vne pyle de boys, continuans en telle haulteur, que des machicoulis facilement on pouoit auecques pierres & liuiers debouter ceulx qui approcheroient. Quand Cæſar entendit que ceulx du dedans n’auoient aultres defenſes que pierres & liuiers, & que a poine les pouoient ilz darder iuſques aux approches, commenda a ſes ſoubdars iecter au tour force fagotz, & y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flamme feut ſi grande & ſi haulte, qu’elle couurit tout le chaſteau. Dont penſerent que bien toſt apres la tour ſeroit arſe & demollie. Mais ceſſant la flambe, & les fagotz conſumez, la tour apparut entiere, ſans en rien eſtre endommagée. Ce que conſyderant Cæſar, cõmenda que hors le iect des pierres tout au tour, l’on feiſt vne ſeine de foſſez & bouclus. Adoncques les Larignans ſe rendirent a comopoſition. Et par leur recit congneut Cæſar l’admirable nature de ce boys, lequel de ſoy ne faict feu, flambe, ne charbon: & ſeroit digne en ceſte qualité d’eſtre on degré mis de vray Pantagruelion, & d’autant plus que Pantagruel d’icelluy voulut eſtre faictz tous les huys, portes, feneſtres, gouſtieres, larmiers, & l’ambrun de Theleme: pareillement d’icelluy feiſt couurir les pouppes, prores, fougons, tillacs, courſies, & rambardes de ſes carracons, nauires, gualeres, gualiõs, brigãtins, fuſtes, & aultres vaiſſeaulx de ſon arſenac de Thalaſſe: ne feuſt que Larix en grande fournaiſe de feu prouenent d’aultres eſpeces de boys, eſt en fin corrumpu & diſsipé, comme ſont les pierres en fourneau de chaulx. Pantagruelion Asbeſte plus toſt y eſt renouuelé & nettoyé, que corrumpu ou alteré. Pourtant
Indes ceſſez, Arabes, Sabiens
Tant collauder vos Myrrhe, Encent, Ebene,
Venez icy recongnoiſtre nos biens,
Et emportez de noſtre herbe la grene.
Puys ſi chez vous peut croiſtre, en bonne eſtrene,
Graces rendez es cieulx vn million:
Et affermez de France heureux le regne,
On quel prouient Pantagruelion.

FIN DV TROISIEME
liure des faicts & dicts Heroïcques du bon Pantagruel.